15ème lettre - Morilles, Morilles! |
Mon cher neveu,
Comme tu as pu le constater, le temps s'est radouci et les gelées nocturnes se font de plus en plus rares : la nature se réveille lentement. Le besoin de me promener dans notre environnement devient pressant : j'ai envie de me dégourdir les jambes. C'est le printemps pour les humains et aussi pour les fleurs et pour les champignons. Pour illustrer cette saison du renouveau, quoi de plus naturel que d'évoquer les Morilles?
Commençons par le commencement : Où donc classer les carpophores des morilles dans le monde des champignons ? Les Morilles (en latin Morchella) sont des Ascomycètes et leurs fructifications sont généralement nommées des apothécies. Cette dernière phrase, je l'ai écrite un peu trop hâtivement et tu m'en excuseras : j'ai été infidèle à un engagement que j'avais pris, soit d'utiliser des termes simples, le moins possible scientifiques ; il me faut donc t'expliquer le sens de ces deux nouveaux mots : Ascomycètes, apothécies.
Ascomycètes se traduit littéralement par «champignons porteurs d'asques» : les asques sont les organes qui, entre autres chez les Morilles, produisent les spores. Pour cette classe de champignons (Ascomycètes), les spores prennent naissance à l'intérieur des asques, contrairement aux Basidiomycètes, chez qui les spores apparaissent au sommet de cellules nommées basides, terme dont tu connais la définition. « Askos», c'était pour les Grecs une outre, et ce nom grec a tout naturellement été transcrit en français par «asque». La forme la plus courante d'un asque (remarque que ce terme est du genre masculin) est celle d'un tube allongé, le sommet (ou apex) étant fermé et la base ayant l'aspect d'un «pied» étroit. On trouve aussi des asques ayant l'apparence d'un sac plus ou moins globuleux, par exemple chez les Truffes (Tuber). Le plus souvent, un asque s'ouvre par une simple déchirure apicale ; chez d'autres Ascomycètes, l'asque s'ouvre par le soulèvement d'un petit couvercle nommé opercule.
Ce dernier caractère te donne déjà une première possibilité de classification : Les Ascomycètes dont les asques s'ouvrent par un opercule sont qualifiés d'operculés, et ceux dont l'apex se déchire se nomment des inoperculés.
Habituellement, un asque contient 8 spores, mais dans quelques espèces d'Ascomycètes on en dénombre 2, ou 4, ou un nombre multiple de 8, soit par exemple 16, 32, 64, et même davantage, jusqu'à plus de mille chez certains genres. Les asques sont accompagnés d'organes stériles très allongés, les paraphyses. Pressés les uns contre les autres, asques et paraphyses tapissent l'intérieur des apothécies.
Apothécie doit te paraître un nom étrange. Pas si bizarre que cela : pense, par exemple, aux noms bien communs apothicaire, ou bibliothèque. Le mot «bibliothèque» signifie exactement «boîte à livres» et anciennement, un asque se nommait une thèque. Le terme «Apothicaire» est un vieux nom désignant un pharmacien. Dans cette profession, on utilise fréquemment un vase de grès dans lequel on pile les drogues au moyen d'un pilon, et ce vase a la forme d'une coupe ; or la plupart des Ascomycètes qui nous intéressent ont bien la forme d'une coupe. Et les Morilles alors ? Nous y voilà : Pour beaucoup de mycologues, particulièrement des Français, les Morilles ne sont qu'une agglomération de coupes appliquées bord à bord et portées par un pied commun. Leur carpophore est en somme une «pluriapothécie».
Par souci de clarté, je t'ai fait des dessins représentant ces choses, et d'autres encore, mais revenons aux Morilles. Elles sont toutes creusées d'une vaste cavité s'étendant de la base du pied au sommet du chapeau. Dans ces champignons, l'accolement des nombreuses «mini-apothécies» donne au carpophore (certains mycologues écrivent ascome pour les carpophores des Ascomycètes) un aspect général rappelant assez bien une éponge (les Italiens nomment une Morille «spugnolo», c'est à dire «éponge»). L'hyménium, comme tu le sais déjà, est la partie fertile, porteuse de spores, d'un champignon ; chez les Morilles, l'hyménium est logé dans les creux (= les «mini-apothécies») que les mycologues nomment souvent des alvéoles. Avec un peu d'expérience, tu t'apercevras bien vite que les chapeaux des Morilles sont parfois relativement allongés et se terminent en pointe plus ou moins aiguë: Nous les nommerons, si tu le veux bien, les Morilles coniques. Chez d'autres Morilles, les chapeaux sont plus ou moins sphériques, nous parlerons de Morilles rondes.
Sans vouloir trop développer la question de la couleur des chapeaux, tu pourras toutefois remarquer que les Morilles coniques ont en général une teinte plus ou moins foncée, alors que la teinte des rondes est plus claire et plus gaie, du jaune au gris brun. A la base du chapeau des coniques, observe la présence d'un sillon qui le sépare du pied et que l'on nomme une vallécule; de cette vallécule partent des côtes stériles, c'est à dire sans asques, qui se prolongent jusqu'au sommet du chapeau avec, ci ou là, des connexions transversales. Ces côtes délimitent alors des alvéoles de forme assez bien rectangulaire. Par contre, chez les Morilles rondes, les côtes sont disposées sans ordre particulier, ce qui donne des alvéoles arrondis-anguleux. Cependant, distinguer la présence d'une vallécule est souvent difficile et il est imprudent de voir là un caractère aussi absolu que le prétendent certains spécialistes.
Il n'en va pas de même pour la Morille hybride ou «morillon». Ici, la vallécule est profonde et nette, séparant du pied la moitié du chapeau. A partir de ce seul caractère, quelques mycologues pensent devoir créer un genre différent, les Mitrophores (Mitrophora), genre reconnu par beaucoup mais pas par d'autres. La clé de détermination des Bolets, qui t'a tellement plu, m'encourage à t'en donner une aussi, très simplifiée, pour les Morilles : tu la trouveras à la fin de ma lettre. La classification rudimentaire que je te propose doit te suffire, car les Morilles sont fort difficiles à ordonner valablement de façon plus élaborée. Il est certain que les mycologues ont créé trop d'espèces avec des variantes problématiques et peu crédibles : que cette affirmation, un peu désabusée mais réfléchie, ne te décourage pas dans l'étude du genre Morchella. La récolte de Morilles n'est pas facile non plus : il y a d'abord la concurrence opiniâtre des chasseurs de champignons casseroleurs, et puis leurs couleurs plutôt ternes se fondent souvent avec celles du substrat environnant et les rendent invisibles aux non initiés. Par contre, leur recherche est un vrai sport dans le charme du printemps ; elles procurent un réel plaisir à leur découverte, plaisir que je souhaite bien volontiers partager avec toi.
Clé rudimentaire pour les Morilles
1. |
Chapeau oblong souvent conique, muni de côtes stériles plus ou moins longitudinales (les alvéoles sont allongés, plus ou moins rectangulaires, avec des travées transversales fertiles ; entre le pied et le chapeau, présence d'un espace libre plus ou moins net, la vallécule) |
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1*. |
Chapeau sphérique à au plus ovoïde, muni de côtes disposées sans ordre (les alvéoles sont irréguliers, rarement allongés, non sériés): groupe des Morilles rondes ou Morilles adnées: Morchella esculenta |
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2. |
La vallécule est peu profonde, quelquefois peu nette (le chapeau est plutôt allongé, souvent conique; le pied, sur un exemplaire mature, est soit plus court soit un peu plus long que la hauteur du chapeau): groupe des Morilles coniques/Morilles distantes: Morchella conica. |
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2*. |
La vallécule est profonde, libérant le chapeau sur la moitié de sa hauteur (chapeau court et conique sur un pied nettement plus long) : groupe des Mitrophores / Morille hybride / Morillon: Morchella semilibera (= Mitrophora semilibera) |
II me reste à te souhaiter bonne chasse (évite impérativement la récolte d'exemplaires trop jeunes et de toute petite taille, disons inférieure à 6 cm) et fructueuses observations que tu noteras dans ton cahier personnel. Tu as le bonjour de
Tonton Marcel
1 |
Asque en forme de sac plus ou moins globuleux, contenant 4 spores (Truffe, Tuber rufum) d'après Dennis. |
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2 |
Asque en forme de tube allongé, avec 8 spores. |
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3 |
Deux paraphyses (elles accompagnent les asques dans l'hyménium). Ce sont des extrémités d'hyphes stériles). |
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4 |
Apex d'asque s'ouvrant par un opercule pour laisser s'échapper les spores (section des Operculés). |
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5 |
Apex d'asque dont les spores s'échappent par une déchirure ; pas d'opercule (section des Inoperculés). |
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6 |
Apothécie simple et sans pied d'une Pézize. |
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7 |
Apothécie alvéolée et stipitée de Morille. |
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8 |
Cavité centrale (coupe) d'une Morille. |
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9 |
La vallécule, petit sillon entre le pied et le chapeau. |
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10 |
Les Morilles rondes (Morchella esculenta), ou groupe des Morilles adnées. |
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11 |
Les Morilles coniques (Morchella conica), ou groupe des Morilles distantes. |
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12 |
Le Morillon (Morchella ou Mitrophora semilibera) ou groupe des Mitrophores. |
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10-12 |
Silhouettes des trois espèces (ou des trois groupes) principales de Morilles, la moitié de chaque ascome en coupe pour montrer l'intérieur creux. |