5ème lettre - Les lames des Agaricales
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Mon cher neveu
Dans mes trois lettres précédentes je t'ai expliqué, par le texte et le dessin, de quelles parties se compose un carpophore: leçons de vocabulaire et d'observation. Accessoirement j'ai essayé de t'expliquer aussi les fonctions des divers organes décrits: le pied soutient et surélève le chapeau ; le chapeau porte et protège les lames ou les tubes. A leur tour, lames et tubes remplissent une tâche essentielle: produire des spores minuscules organes microscopiques dont le rôle est la propagation de l'espèce; grâce aux spores, emportées par les vents et déposées sur le substrat, la survie des espèces est assurée: après germination, elles produisent le mycélium, partie essentielle et végétative du champignon; généralement invisible à l'oeil nu, enfoui dans le substrat, le mycélium de tout champignon - celui de la Chanterelle par exemple - se développe et vit dans le sol des années durant. Comme tout être vivant, les mycéliums jouent un rôle écologique fondamental dans l'équilibre qui régit la nature.
La seule et unique raison pour laquelle le mycélium des Chanterelles produit temporairement ces choses jaune doré que le néophyte nomme «champignons», surgies mystérieusement de la terre - que nous appelons justement «carpophores» (de deux mots grecs qui signifient «porte-fruit»), la raison unique de ces apparitions est le besoin de fabriquer des spores et ainsi de se reproduire. Du fait que des bipèdes ou d'autres êtres vivants s'intéressent avec concupiscence aux carpophores, le mycélium n'en a cure!
La production des spores est un processus compliqué dont il sera question dans un message ultérieur. Pour l'instant, je te propose un thème d'étude' plus simple:
Les lames des Agaricales
Tu as sûrement déjà observé un mycologue récoltant un champignon à lames; sitôt cueilli, il le retourne et observe ses lames, éventuellement il le renifle. C'est que ces lames sont l'organe le plus important du carpophore. Acquiers le même réflexe: tu observeras vite que toutes les lames commencent à la marge, que dans certains cas elles atteignent aussi toutes le stipe et que souvent certaines «s'arrêtent » à mi chemin ou même tout près de la marge: prends l'habitude de les nommer lames, lamelles et lamellules . On dit que les lames sont égales dans le premier cas, inégales si elles sont entremêlées de lamelles et/ou de lamellules. Beaucoup d'auteurs ne parlent que de lamelles et de lamellules.
Il y a des Agaricales dont les lames sont fourchues. Dans d'autres cas, tu verras entre les lames des cloisons transversales - souvent moins larges que les lames -; on parle alors d'anastomoses, de lames anastomosées ou interveinées . Si maintenant tu imagines que ces anastomoses sont suffisamment rapprochées et aussi larges que les lames, d'une Agaricale, tu auras fait une Bolétale: ces deux familles sont réellement apparentées. Si tu as un livre bien illustré, cherches y le Phylloporus rhodoxanthus: tu auras bien de la peine à décider s'il s'agit d'un Bolet à très grands tubes ou d'une Agaricale à nombreuses anastomoses. (le terme lui-même «Phylloporus» est très expressif: «phyllon» = la feuille, la lame; «poros» = le pore). Si tu rencontres cette espèce dans la nature, je te supplie de ne pas la mettre à la casserole: elle mérite protection, eu égard à sa rareté.
Observe aussi la densité des lames: ici elles sont espacées, ailleurs elles sont au contraire serrées. Dans les descriptions tu trouveras des expressions telles que «très serrées», «assez serrées», très espacées , etc.
Autre observation: coupe un carpophore longitudinalement par le milieu et considère la lame vue sur le côté. Un dessin te montre ce que l'on entend par: partie antérieure (en avant), partie postérieure (en arrière), le dos, l'arête et une face d'une lame. Les formes des lames sont variées: larges ou étroites (comparer à l'épaisseur de la chair), arquées (ou falciformes), droites ou ventrues, parfois triangulaires. Une coupe transversale fait apparaître l'épaisseur: la Russule noircissante a des lames très épaisses, le Champignon de Paris a des lames minces; les Coprins ont des lames très minces. Quant à la consistance des lames, elle peut être friable (= cassante), comme chez la plupart des Russules; ailleurs elle peut se révéler souple (= flexible), ferme ou même ligneuse.
L'élément le plus important est le mode d'insertion des lames, c'est à dire l'aspect de la liaison lame-stipe. A ce point de vue, elles peuvent être libres, libres et arrondies en arrière, adnées, largement adnées, décurrentes, émarginées, uncinées (émarginées et décurrentes par une dent). Le mode d'insertion est souvent remarquablement constant pour une espèce: c'est pourquoi on utilise ce caractère pour grouper les différentes espèces dans un genre ou dans une famille (et, en corollaire, pour séparer des espèces). Il est aussi intéressant de noter, si le cas se présente, les variations du mode d'insertion au sein d'une même espèce et, parfois, pour un même carpophore.
Pour une bonne observation de l'arête des lames, tu dois te procurer une bonne loupe (8x ou10x). N'oublie pas le plus important: la ficelle, à laquelle tu attacheras ta loupe, pour la pendre à ton cou, sans quoi tu devras souvent ouvrir ton porte-monnaie pour remplacer à chaque fois ta loupe perdue...
La couleur des lames est un caractère non négligeable. Une jeune Amanite phalloïde sera de couleur blanche, son aînée aussi. Mais il y a des espèces dont les lames changent de couleur avec l'âge. Le Rosé des prés a de jolies lames roses; elle virent ensuite au rougeâtre, puis au brun chocolat et même presque au noir. Si je t'informe maintenant du fait que les jeunes spores du Rosé des prés sont incolores alors que les spores mûres sont brun rouge, tu déduiras que le changement de couleur des lames est lié à la teinte des spores. Si par conséquent tu veux savoir quelle est la couleur propre des lames - qui n'est pas forcément la même que la couleur des spores -, il est nécessaire que tu l'observes chez de tout jeunes carpophores. Un phénomène particulier s'observe sur les lames de certaines espèces de champignons: leurs faces ne sont pas uniformément colorées, elles présentent des taches plus foncées: on les dit nuageuses. Cet aspect particulier tient au fait que les spores n'y mûrissent pas toutes en même temps.
Tu pourras probablement bientôt observer que les lames de certains champignons changent de couleur au frottement. Par exemple, les lames du Paxille enroulé sont ocre olivacé, mais elles se tachent immédiatement de brun au toucher.
En rassemblant mes cinq premières lettres, tu disposes de l'outil nécessaire pour comprendre les textes descriptifs et pour écrire toi-même une description. L'étape suivante consiste pour toi à reconnaitre un certain nombre d'espèces. Si tu entreprends cette démarche en solitaire, tes progrès seraient bien lents et tu pourrais très rapidement t'empêtrer dans des difficultés insurmontables; le résultat serait que tu ne saurais bientôt plus à quel saint te vouer et que tu laisserais tout en plan. Je te conseille de t'inscrire comme membre de la Société Mycologique la plus proche de chez toi.
Tu pourrais aussi trouver dans ton village quelqu'un qui «connait» les champignons. Mais alors, mets-le à l'épreuve: Demande-lui, tout innocemment, s'il connaît tous les champignons. S'il répond par l'affirmative tu sauras que ce n'est qu'un gros blagueur. Si par contre il répond qu'il connait peu de champignons, mais qu'il en existe beaucoup d'espèces, tu peux lui faire confiance. Peut-être aussi que le contrôleur officiel de ton village peut-être ton homme. Apporte-lui trois ou quatre espèces, de chacune environ trois carpophores, soigneusement séparées dans un panier. Et surtout dis-lui que ta récolte n'est pas destinée à la cuisine, mais que tu voudrais seulement savoir les noms de chaque lot. Je peux imaginer que ton grognon de bonhomme pourrait devenir alors de bonne compagnie. Retiens bien ce qu'il te dira. Rentré chez toi, observe tes champignons, une espèce après l'autre, en suivant les étapes décrites dans mes trois dernières lettres, puis tu consultes un livre de mycologie. Compare tes observations avec le texte de ton livre.
Si, de plus, tu notes par écrit tes observations -et non pas ce qui est écrit dans ton bouquin -sur des fiches (une par espèce) que tu ranges dans un classeur, si encore tu dessines et peins tes champignons, je peux te garantir qu'ils resteront «à jamais» dans ta mémoire.
Excellent devoir à domicile, non? Reçois les meilleur vœux de succès et le cordial bonjour de
Tonton Marcel
Les lames des Agaricales
Disposition des lames (Fig.1-7) 1. L. égales 2. L. inégales 3. L. fourchues 4. L. anastomosées, interveinées 5. L. espacées 6. L. serrées. 7. Partie antérieure (A), postérieure dos (C), arête (D), une face (E).
Formes de lames (Fig.8-13) 8. L. étroites (A), minces (B) 9. L. larges (A), épaisses (B) 10. L. ventrues 11. L. horizontales, droites 12. L. arquées, falciformes 13. L. triangulaires
Mode d'insertion (Fig.14-20) 14. L. libres 15. L. libres et arrondies en arrière 16. L. adnées 17. L. largement adnées 18. L. décurrentes 19. L. échancrées, émarginées 20. L. uncinées, émarginées et décurrentes par une dent
Arêtes de lames (Fig.21-26) 21. A unie 22. A. denticulée, serrulée 23. A.dentelée 24. A. crénelée 25. A. fimbriée, érodées 26. A. aiguë (A), obtuse (B), fendue (C)
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