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Des spores aux carpophores (III)
14ème lettre
Mon cher neveu,
Le mycélium est une chose tellement importante dans la vie des champignons qu'il mérite largement une réflexion prolongée; après avoir écrit quelques lignes au sujet des primordiums et des rhizomorphes, je dois te présenter encore deux formations remarquables: les sclérotes et les «ronds de sorcières» ou «cercles de fées». Il s'agit toujours du chapitre:
Des spores aux carpophores (3)
Il existe des espèce de champignons, assez nombreuses, qui fabriquent une sorte de «mycélium permanent», qui peut rester longtemps au repos - en tout cas plusieurs mois - et qui ne recommence à croître que si les conditions internes (celles du sol ou du substrat) se révèlent favorables à ce renouveau. Un peu comme dans le cas des primordiums, il se produit une pelote serrée d'hyphes mycéliennes - mais cette pelote n'est pas forcément sphérique -, englobant souvent des particules de terre; ce tissu dur et compact, est souvent enclos dans une sorte de coquille solide et de couleur foncée. Pour découvrir, dans le terrain, ces formations nommées des sclérotes, il faut souvent creuser assez profond sous un carpophore, en évitant de déchirer les cordons mycéliens qui le rattachent, comme un cordon ombilical, à la pelote. Un sclérote peut ne pas dépasser la taille d'une tête d'épingle, mais il peut aussi atteindre la taille d'une noix ou même davantage.
Un exemple plus ou moins connu, au moins par ouï-dire, est l'ergot du seigle, que l'on voit apparaître sur les épis de cette céréale, "qui est toxique et qui, en des temps d'ignorance, a provoqué de véritables épidémies («mal des Ardents») parce que l'ergot avait été moulu en farine avec les grains. Eh bien, l'ergot est en réalité le sclérote d'une espèce qui a trouvé une intéressante stratégie de survie: les sclérotes formés sur les épis tombent à terre en automne et y passent l'hiver; au printemps ils donnent naissance à des carpophores; ceux-ci produisent des spores dont le mycélium infecte la céréale et forme des sclérotes sur les épis; ces sclérotes tombent sur le terrain et le cycle recommence.
Un autre exemple intéressant et célèbre est la «Pierre à champignons» que les Italiens nomment «Pietra fungaia», qui est connue depuis plusieurs siècles - apparemment dès l'Antiquité - et qui a donné lieu à l'une des plus anciennes formes de «culture». Il s'agit d'une masse, de la taille d'une tête humaine, constituée de tissu mycélien d'une espèce de Polypore (Polyporus tuberaster); dans cette masse sont inclus des particules de terre et des restes de végétaux. Celui qui a la chance de trouver une «pietra fungaia» peut l'emporter à domicile, l'enfouir dans de la terre humide et la conserver au chaud; un hasard favorable fera apparaître sur ce sclérote des carpophores qui, du reste, sont parfaitement comestibles.
Je voudrais enfin te dire quelques mots des «cercles de fées» ou «ronds de sorcières». Pour qui en voit un pour la première fois, il reste souvent bouche bée et se pose maintes questions; pour l'amateur initié, la présence d'un cercles de fées peut causer quelque accélération du pouls ... Un rond de sorcières, c'est un alignement plus ou moins circulaire de carpophores. La croyance populaire attribuait son apparition aux danses nocturnes de fées ou de sorcières.
Dans les prés, même si les carpophores sont absents, on voit souvent des cercles bien dessinés où l'herbe est plus drue et d'un vert plus foncé qu'à l'intérieur ou à l'extérieur. Le phénomène s'explique de la façon suivante: à partir de la germination de spores en un lieu donné, le mycélium se développe radialement dans toutes les directions; le mycélium vieillit vers l'arrière et les hyphes terminaux, les plus jeunes, se trouvent à l'avant. Au fur et à mesure des années, le cercle augmente de diamètre; les carpophores apparaissent à la périphérie du cercle. Vers l'arrière immédiat de la zone vert foncé, le sol est épuisé, le mycélium y ayant prélevé les substances nécessaires à son développement: fréquemment, dans cette région, l'herbe est beaucoup plus courte et plus pâle, et même parfois la terre est mise à nu. Dans la zone vert foncé, la présence de nitrites, que les champignons sont capables d'accumuler, joue le rôle d'engrais, en quantité idéale pour.la croissance des herbages. A l'arrière, par contre, la proportion de ces nitrites est trop importante et provoque une brûlure des racines, qui va jusqu'à la disparition - pour plusieurs années parfois - des plantes herbacées. On est bien loin d'une danse présumée de lutins, de fées ou de sorcières!
Dans les forêts, les ronds de sorcières sont plus rares et souvent incomplets: ici la progression du mycélium se heurte aux troncs et aux racines des arbres. Cependant lorsque, dans une forêt, on tombe sur deux ou trois groupes apparemment isolés de carpophores, il vaut la peine de déterminer le cercle auquel ils appartiennent et il est possible de trouver d'autres régions de ce cercle imaginaire peuplées, elles aussi, de carpophores de la même espèce. La vitesse de croissance radiale annuelle des ronds de sorcières est généralement d'environ 10 centimètres, dans la mesure où la configuration du terrain permet cette croissance: Dans des prairies et des steppes plus ou moins plates, le diamètre des cercles peut atteindre plusieurs centaines de mètres. On peut évidemment en déduire l'âge du mycélium initial. Certains ronds de sorcières datent de quelques centaines d'années: étonnant, non?
Ce sera tout pour aujourd'hui. Mais nous n'en avons pas terminé pour autant avec les mycéliums: il faudra que je t'explique en tout cas deux rôles fondamentaux qu'ils jouent dans l'équilibre écologique de la nature; les mycéliums - tous les mycéliums! - sont de puissants décomposeurs et certains entretiennent avec les végétaux «supérieurs» une commensalité bénéfique aux deux partenaires, sous la forme de «mycorhizes». Ce sera l'objet de prochaines correspondances.
En attendant, tu as le bonjour de Tonton Marcel.